Le franc CFA, monnaie utilisée dans plusieurs pays d’Afrique, est au cœur d’un débat passionné depuis des décennies. Considéré par certains comme un symbole de stabilité monétaire et par d’autres comme un vestige post-colonial, il suscite des appels croissants à la réforme. Cette monnaie, indexée sur l’euro depuis 1999, est au centre de controverses concernant sa gestion, son contrôle et son impact sur le développement économique des pays qui l’utilisent. Découvrez l’histoire, les enjeux et les perspectives entourant le franc CFA dans cet article.
Le franc CFA sous surveillance française
La création de la Zone franc remonte à la seconde guerre mondiale. Son unité monétaire est le franc CFA, initialement dénommé « franc des colonies françaises d’Afrique ». Il voit le jour le 26 décembre 1945, marquant « le jour où la France ratifie les accords de Bretton Woods et procède à sa première déclaration de parité au Fonds monétaire international (FMI) ».
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Ce système monétaire représente deux devises communes adoptées par quatorze États africains répartis en deux zones distinctes. D’une part, la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), qui est gérée par la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), regroupant le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad. D’autre part, l’Union économique et monétaire Ouest africaine (UEMOA), dirigée par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), englobant le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo.
Depuis 1948, le franc CFA bénéficie de la « libre convertibilité ». Cette liberté restreinte autorise la Banque de France à superviser les politiques monétaires de la BCEAO et de la BEAC. Elle s’engage également à leur fournir des devises si elles viennent à épuiser leurs réserves. Pour renforcer ce contrôle, la Banque de France centralise les réserves de change via le Trésor français, qui détient un « compte d’opération » au nom de chaque banque de la Zone franc.
Un lien étroit avec la France et l’euro
La parité du franc CFA, anciennement liée au franc français, est désormais indexée sur l’euro, établissant une parité fixe. Ainsi, 1 euro équivaut à 655,96 francs CFA. La moitié des réserves de change des pays utilisant le franc CFA est conservée auprès de la Banque de France.
La France ne tire pas de profit direct de ces dépôts. Actuellement, la Banque de France rémunère ces dépôts à un taux plancher de 0,75 % par an, et les intérêts sont redistribués aux nations africaines chaque année. Cette réserve garantit une conversion illimitée du franc CFA en euro. Une liberté totale est accordée aux transferts entre les pays de chaque Zone Franc. Les pièces et billets en francs CFA sont fabriqués dans une imprimerie de la Banque de France située à Chamalières, dans la banlieue de Clermont-Ferrand, au centre de la France.
Une monnaie coloniale qui empêcherait le développement de l’Afrique
Après avoir obtenu leur indépendance, les nations de la Zone franc ont commencé à remettre en question la nature du franc CFA, estimant qu’il limitait leur pouvoir monétaire et, par conséquent, leur indépendance réelle. Cette remise en question a conduit à la signature des accords bilatéraux de coopération monétaire, connus sous le nom d’accords de Matignon, entre la France et les États membres de l’UEMOA en mai 1962.
Actuellement, il y a un mouvement visant à « libérer l’Afrique de la servitude monétaire », comme le souligne le titre d’un récent ouvrage d’un groupe d’économistes comprenant des personnalités africaines telles que l’ancien ministre togolais, Kako Nubukpo. Ce mouvement critique le fait que la politique monétaire du franc CFA serve principalement les intérêts européens, accusant la France de continuer à exercer une forme de tutelle sur les politiques économiques de certains pays africains. Selon eux, cette situation entrave le développement et le progrès social, car aucun pays n’a réussi à se développer avec une monnaie contrôlée par un autre pays. Pour Nubukpo et ses collègues, le franc CFA est synonyme de « confiscation de la souveraineté » des pays africains.
De plus, l’obligation pour les pays de la Zone franc de déposer 50 % de leurs réserves de change auprès du Trésor français est considérée comme un obstacle majeur pour leur développement. Cette contrainte signifie que la BCEAO et la BEAC doivent sacrifier une partie de leurs besoins de financement pour développer leurs économies naissantes afin de se conformer aux politiques monétaires de la Banque centrale européenne.
Cependant, des économistes tels que Paul Derreumaux contestent l’idée selon laquelle le franc CFA est la principale cause du retard du développement en Afrique. Pour Derreumaux, la mauvaise gouvernance des dirigeants africains ainsi que les politiques de réduction des barrières douanières imposées par la Banque mondiale ont un impact plus significatif que la monnaie. Il cite également le succès économique de la Côte d’Ivoire, qui, selon lui, montre que la zone franc n’entrave pas nécessairement les progrès économiques dans la transformation des matières premières agricoles.
Le débat engagé entre les « pour » et les « contre »
Depuis de nombreuses décennies, le franc CFA suscite un débat passionné entre ses détracteurs, qui le qualifient de monnaie « post-coloniale » perpétuant l’influence de la France en Afrique, et ses partisans, qui saluent la stabilité monétaire qu’il assure. Les appels à une réforme du franc CFA se font de plus en plus insistants et la France a exprimé sa volonté d’y répondre favorablement.
En plus du changement de nom, qui revêt une forte valeur symbolique, certains économistes préconisent l’indexation du FCFA sur un panier de devises comprenant l’euro, le dollar et le yuan chinois, afin de correspondre aux principaux partenaires économiques de l’Afrique. Des économistes et des polémistes africains plus radicaux réclament quant à eux le transfert des réserves de change vers d’autres institutions, ainsi que la fin de la politique monétaire rigoureuse au profit d’une priorité accordée au développement économique et à la création d’emplois.
La fin du franc CFA est-elle proche ?
Les 15 États membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO, Ecowas en anglais, qui inclut les 8 États membres de l’UEMOA) ont convenu d’adopter en 2020 une monnaie unique appelée « eco ». Cette décision marquerait la fin du franc CFA. Cependant, de nombreux analystes expriment des réserves quant à un lancement aussi imminent de l’eco, mettant en avant les importantes disparités économiques, monétaires et budgétaires entre les pays de la région, ainsi que les défis techniques associés à la création d’une nouvelle devise.